Coup de poing sur la table. Manifester dans les grandes surface, c’est bien, négocier de meilleurs prix, ce serait mieux !
Les récentes annonces des signatures de contrats tripartites avec la grande distribution pour des prix qui vont jusqu’à 390 € les 1000 litres – aussi encourageantes soient-elles – ne représentent qu’une (petite) partie du lait vendu en France, et n’atteignent toujours pas un prix capable de couvrir les couts de production. Pourtant, la grande distribution est celle qui paye le mieux le lait aujourd’hui. Alors ça nous attriste quand, pendant que nos confrères agriculteurs perdent une journée de travail à manifester devant les grandes surfaces, leurs « représentants syndicaux » et leurs coopératives négocient dans les bureaux des prix ultra-concurrentiels avec les GMS pour mettre sur la touche les autres coop et les industriels privés, parce qu’ils n’ont pas réussi à écouler les produits qu’ils exportent (cause covid…).
Nous on est bien d’accord pour que les GMS, en plus des contrats tripartites, mettent un sérieux coup de frein sur les produits non-rémunérateurs pour les producteurs, incluant aussi bien les produits d’importations que les produits bradés par nos propres industriels. D’ailleurs ça nous a aussi attristés, de voir un syndicat dit majoritaire, envoyer ceux qu’il prétend représenter coller des étiquettes « le prix de ce lait ne permet pas de rémunérer son producteur » sur des briques de… sa propre marque ! Cela n’est-il pas révélateur d’une méconnaissance des marchés du lait ?
Il serait peut-être temps de manifester sur les parkings des coopératives qui bradent le lait de leurs adhérents pour placer leurs productions en gros volumes devant celle des autres industriels, nous mettant ainsi collectivement en faillite ! Et de nous poser les bonnes questions.
Qui négocie le prix de notre lait avant même qu’il n’arrive chez l’industriel ?
Qui brade les prix de notre lait pour sortir les autres industriels des rayons ?
A qui sont ces coopératives ?
Trop, c’est trop… de lait ?
La consommation augmente, les cours augmentent, mais nous sommes de moins en moins payés, tandis que nos charges, elles, continuent bien sûr… d’augmenter !
Ce n’est pas une « mauvaise passe », ce n’est pas une « mauvaise année », et ce n’est pas uniquement la faute aux « aléas météo » ou au « Covid19 ». Après des années de déclin, nous avons vu en 2020 une augmentation de 5% la consommation de lait en France, avec une augmentation de la fabrication de la plupart des produits laitiers, tirés par une demande accru des ménages en périodes de confinement. Quant aux cours du beurre et de la poudre de lait écrémée, ils ont augmenté avec + 800 € la tonne entre février et mars pour le beurre.
Les calculs sont peut-être compliqués, mais leur conclusion est simple : tant que nous serons en surproduction dans un monde en pleine crise économique et sanitaire dont les échanges tournent au ralenti (-3,4% pour l’agroalimentaire), avec des charges qui augmentent, nous n’obtiendrons JAMAIS de prix rémunérateurs. Face à ce constat, seule la filière bio sauve les meubles en ce premier trimestre, avec des appels des laiteries à modérer les livraisons de printemps, voire sur l’année entière…
Même le dernier rapport au gouvernement de Serge Papin va dans le sens d’une loi EGALIM inefficace sans un outil de régulation européen. Selon ce rapport c’est en bonne partie lié aux marchés extérieurs qui engloutissent 40% de la production à bas prix. On est bien d’accord, l’export ne nous apporte aucune valeur ajoutée à ce stade, bien au contraire ! Surtout quand c’est pour importer derrière du lait à bas prix : selon l’Idele, 100 % de la crème, 60 % du beurre et 58 % du fromage achetés par les industries agroalimentaires (qui représente près de 40% des produits laitiers consommé en France) proviennent de l’étranger. Et toujours selon l’institut, 27 % des produits laitiers achetés par la restauration hors domicile sont fabriqués à partir de lait qui n’est pas produit en France, alors que ce secteur représente 9% de la consommation de produits laitiers[1]. La loi Egalim, vis-à-vis de la restauration Hors Domicile, impose d’offrir 50 % de produits durables ou sous signes d’origine ou de qualité dont minimum 20% de produits bio, y compris en conversion à partir de 2022. Est-ce vraiment suffisant, alors que nos producteurs font face à la concurrence des produits étrangers ? ça ne l’est pas : tout le monde, et en particulier la transformation, doit faire partie de l’effort au même titre que la GMS et les coopératives.
Crise environnementale, crise sanitaire, crise économique : où sont les outils de crise pour le marché laitier ? Qui gère la crise, et avec quoi ?
Personne, avec rien. Et c’est bien cette analyse qui est passée aux oubliettes… Avant la crise sanitaire liée au Covid, début 2020, il y avait 15% de lait en trop en Europe. Aujourd’hui, il y en 20% ! Trop de lait d’un côté, des charges qui augmentent de l’autre, comment peut-on espérer que ça s’arrange sans outil de crise adapté ? Cette crise du lait qui dure depuis 2003 est systémique. Elle est ancrée dans un système de marché dérégulé qui brise les côtes des éleveurs. Elle est écosystémique, doublement impactée par le changement climatique qui affecte nos deux piliers : l’élevage et la culture. Est ce qu’il y en a encore qui pensent que demain, ça ira mieux ? Que les charges baisseront comme par magie en pleine crise environnementale et que les prix augmenteront par une miraculeuse crise d’éthique des coopératives ?
Les solutions ? Depuis des années, nous demandons une seule chose : que l’on redonne aux producteurs le pouvoir de protéger la valeur de leur production.
A commencer parun prix équitable, basé sur des coûts indépendants, soit 45ct/l. C’est possible : nous le faisons avec FaireFrance.
Et bien sûr, plus de pouvoir dans les négociations grâce à des organisations transversales : nous le faisons aussi, avec France Milk Board. Cette force, nous la voulons en France mais aussi au niveau européen car ce sont les deux jambes du même corps : à quand des organisations de producteurs inter-pays ?
Depuis des années, nous demandons de ne pas travailler en dessous de nos couts de production, seul un outil de régulation du marché nous permettra d’atteindre cet objectif et, nous l’avons développé à l’EMB : le PRM permettrait de sécuriser les prix en Europe et pour chaque pays en cas de déstabilisation des marchés.
Nous nous battons pour des outils qui permettront demain à tous les producteurs de lait, même ceux qui sont aujourd’hui sceptiques, d’être rémunérés correctement pour leur travail. Par cette tribune, nous souhaitons apporter notre lecture de l’actualité laitière, mais aussi inviter tous les producteurs de lait, ainsi que nos élus et notre ministère, à considérer ces solutions que nous leur proposons.
[1] Chiffres IDELE 2019