TRIBUNE FEVRIER 2021 – COUTS DE PRODUCTIONS DU CNIEL : L’APLI AURAIT-ELLE EU RAISON ?

2020 s’est clôturée sur l’annonce des coûts de production calculés par le CNIEL : 403 euros la tonne de lait, une première !

L’APLI (association des producteurs de lait indépendants, membre de l’European Milk Board) se bat depuis 2009 pour que le prix du lait prenne en compte les coûts de production des éleveurs, et salue cette annonce qui répond aux impératifs de la loi Egalim.

D’autant que cette annonce arrive dans un contexte européen de prise en compte progressive des revendications des éleveurs européens rassemblés par l’European Milk Board : prise en compte des coûts de production et déploiement d’un programme de responsabilisation face au marché (PRM), permettant de sécuriser les prix lorsque la production est plus importante que la demande.

En 2020, nous tirions la sonnette d’alarme auprès de nos responsables ministériels : la situation sanitaire, les aléas météo, climatiques, les décisions prises à Bruxelles… Nous n’avons cessé d’alerter sur la nécessité de mettre en œuvre des outils de protection pour les producteurs, afin de garantir la couverture de leurs coûts de production. Nous étions sur le terrain, menant des actions, confinées ou non, pour dénoncer les enseignes qui contournent Egalim ou pour contester les décisions prises à Bruxelles, solidairement avec les éleveurs européens.

L’APLI est à l’avant-garde de ce combat en France depuis plus de 10 ans. Si nous sommes heureux de voir les lignes bouger et nos revendications intégrer peu à peu le langage courant, impossible de se laisser aveugler : cette porte qui s’entrouvre fin 2020 se refermera inversement aussi vite qu’elle a mis de temps à s’ouvrir si nous ne faisons pas preuve d’une grand vigilance, prêts à réarmer le bélier.

Inutile, vous l’aurez compris, de se perdre en félicitations. Oui, le calcul va dans le bon sens, mais à l’image d’Egalim, il n’atteint pas son but. L’APLI, s’il fallait le rappeler, est la seule organisation française à avoir commandité une étude indépendante, réalisée par un bureau d’expert faisant référence dans le domaine des coûts de production dans le cadre d’une initiative menée au niveau européen par l’EMB (cf annexe). Nous le réaffirmons donc : le prix couvrant réellement tous les coûts de production des éleveurs français est de 450 euros la tonne de lait. Ce prix est le minimum qui permette la rémunération complète de l’éleveur, indépendamment de toute autre forme de prime ou d’entrées financières pouvant être aléatoires et irrégulières.

403€/T ? Les éleveurs n’en verront pas la couleur sur leurs paye de lait.

L’année 2020 a vu le prix payé aux producteurs chuter de 0,9% et l’annonce tardive de ce cout moyen de production ne permet pas aux négociations d’en prendre efficacement compte en 2021. D’autant que ce coût de production ne concerne que 60% des éleveurs, puisque près de 40% du marché laitier est composé de produits valorisés à bas prix, qui tirent mécaniquement le prix moyen payé à tous les éleveurs vers le bas. Rappelons-nous les 396 € la tonne annoncés en 2018. Et ce, avant même que les négociations ne commencent ! Ces négociations, parlons-en… Que les industriels utilisent ces annonces pour tirer les prix à la hausse auprès de la grande distribution est une chose : que les coopératives s’en servent pour négocier de meilleurs prix pour leurs adhérents en est semble-t-il une autre ! En réalité, seuls les éleveurs positionnés sur le marché des produits différenciés bénéficient éventuellement des retombées positives d’EGALIM, et encore. Ils ne représentent que 10-15% des producteurs français. Il est évident que cette disparité de valeurs accordées à notre travail d’éleveurs ne favorise pas l’unité dont nous avons tant besoin ! A qui cela pourrait-il bien profiter ? Pas à nous, en tout cas. Nous ne nous faisons pas d’illusions sur les suites de ces annonces. Seules nos mobilisations finiront par convaincre du prix de notre travail.

Toute personne un peu censée se demanderait pourquoi notre message a tant de mal à passer auprès de notre gouvernement, des acteurs de notre filière et des agriculteurs eux-mêmes. En quoi être mieux payé pour produire mieux n’est-il pas un projet enviable ?

En quoi gagner décemment sa vie et être apte non seulement à éponger ses dettes ET à investir est-il un futur qui ne mériterait pas notre accord à tous ? Demandez à n’importe quel entrepreneur français, quel que soit son domaine, s’il accepterait de vendre sa marchandise en dessous de ce qu’elle lui a coûté !

Derrière ces évidences, n’y a-t-il pas une culture agricole de la résignation, qui maintient nos tête sous l’eau, nous éduque à ne pas trop réclamer, et s’assure de garde-fous contractuels qu’aucun autre professionnel n’accepterait ?

Alors que la société entière et dans tous ses secteurs est désormais caractérisée par l’explosion du nombre d’interlocuteurs et d’acteurs pour débattre autour d’un même sujet, alors que nos métiers sont en permanence sont le feu des critiques, l’agriculture est toujours cantonnée une poignée d’interlocuteurs pour la défendre, un seul syndicat dit majoritaire a voix au chapitre : les autres ? Des « originaux », des « marginaux », des « réactionnaires ». La rhétorique est si bien intégrée à l’imaginaire collectif que nous finissons par y croire nous-même, jeunes générations inclues. Et nous voit-on de l’extérieur ? Certainement pas. Pourtant, ce que nous proposons, c’est ce que la société d’aujourd’hui veut, c’est ce que cet extérieur attend.

Le mot régulation n’est pas une insulte.

Ce n’est pas un concept qui nous renvoie aux bœufs tirant la charrue. C’est même tout le contraire. Le mot régulation aujourd’hui c’est ce dont ce monde a besoin, c’est ce dont nos fermes ont besoin pour ne pas devoir choisir entre faillite ou surendettement, précarité ou suréquipement. Réguler sa production n’est pas une punition, c’est une solution. Une manière de maitriser nos prix, de peser dans la balance et non pas d’en être la variable d’ajustement. Nous avons le choix entre être contrôlés dans les moindres détails de notre métier ou redevenir maitres à bord de nos exploitations. Réguler ensemble c’est réussir tous ensemble à maintenir des prix équitables. Parce que nous sommes nous-mêmes producteurs, réguler ne veut pas dire se priver d’une partie de nos revenus : mais garantir un prix payé qui ne nécessite pas de surproduire au prix de nos fermes elles-mêmes. On propose aux agriculteurs de nous rejoindre pour un prix jamais égalé auparavant, et dont bénéficient déjà ceux qui ont rejoint Fairefrance, créée sous l’impulsion des éleveurs de l’APLI. On propose aux élus d’élargir leur vision de l’agriculture et des solutions qu’elle propose. Changer le monde, produire mieux, nourrir une population grandissante, oui, mais pas n’importe comment.

Coûts de production, prix du lait, régulation, pouvoir au producteur, là sont les combats que nous menons depuis 10 ans, entre les traites du matin et du soir, sans petit-four et sans prise d’intérêts. nous avons mené cette barque sous les critiques et aujourd’hui ce sont pourtant ces termes qui font l’actualité de l’Europe et des débats.

Les coûts de production annoncés par le CNIEL nous donnent raison, mais ne proposent pas de solutions pour qu’un jour ils se répercutent sur la fiche de paye de lait : nous si.

L’APLI se veut constructive et démonstrative, c’est pourquoi, notre association est à l’origine de la création de plusieurs forces de négociations de prix avec les industriels du secteur laitier (Organisations transversales de Producteurs “France Milk Board”) ainsi que la création de la marque FaireFrance ayant pour objectif de redonner du pouvoir aux producteurs de façon concrète au sein même de la filière.

A l’international, l’APLI s’engage auprès de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons toujours eu à cœur de faire comprendre aux élus que leurs décisions pesaient non seulement sur les éleveurs européens, avec les conséquences dramatiques connues (désertification rurale, le faible nombre d’installations et le mal-être social dans la profession, suicides.) mais aussi sur d’autres éleveurs, notamment africains, victimes de nos exportations.

Si pour beaucoup il est temps de passer des discours aux actes, pour nous il est clairement temps de parler plus et mieux de nos actions. Que chaque éleveur sache qu’il n’est pas seul.

Annexes
I - Combien coûte la production de lait ? Les coûts de la production laitière en France – édition 2018
II – Le Programme de Responsabilisation face au marché

Contact : aplicommunication@gmail.com

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