APLI
Ce qui attend les éleveurs et la France

La plupart des analyses font état d’une diminution drastique du nombre des exploitations laitières qui passeraient de 80 000 en 2012 à 25 000 à l’horizon 2025 – 2030. Cette diminution se traduirait par un accroissement de la production par exploitation qui passerait de 270 000 l à plus de 900 000 l. Au fond, le système français ne ferait ni plus ni moins que se convertir à un système de production laitière intensif analogue à celui qui existe aujourd’hui au Danemark avec sans doute un transfert de terres plus importants vers des industriels (les exploitants français n’ayant pas la richesse historique des exploitants danois).
Le rapport du HCCA (Haut Conseil de la Coopération Agricole) prône d’ailleurs cette concentration de la production pour permettre aux industriels d’être compétitifs sur les marchés.

 

Quelles sont les conséquences d’un tel système ?

Elles sont assez faciles à identifier. Dans une logique productiviste animée par les industriels, la recherche de l’optimisation financière domine l’ensemble des décisions qui sont prises dans l’organisation de l’outil industriel.

  • Concentration géographique : certaines régions plus productives (telles que la Normandie) se trouveront privilégiées au dépend de régions moins rentables qui verront l’essentiel de leur production laitière disparaître.
  • Regroupement des exploitations : de la même manière dans les régions les plus productives, les exploitations seront regroupées pour constituer des ensembles à plus grande échelle. Les fermes un peu isolées qui peuvent nécessiter une collecte plus coûteuse auront tendance à disparaître.
  • Bâtiments d’exploitation : ils auront eux-mêmes tendance à être restructurés. En effet de nouveaux hangars plus modernes devront être construits pour abriter les structures par définition plus grandes. L’effort récent de mise aux normes ne sera qu’un gâchis, ces constructions devenant (trop) vite insuffisantes et obsolètes. Les fermes traditionnelles et l’habitat correspondant seront au mieux recyclés vers d’autres usages ou plus simplement laissés à l’abandon.
  • Elevage hors sol : de la même manière certains équipements (traite) seront rentabilisés 24/24 et il sera dès lors souhaitable que les vaches se trouvent à proximité. Un regroupement physique des animaux deviendra nécessaire ce qui conduira naturellement au développement de l’élevage hors sol (comme dans de nombreuses fermes américaines).
  • Emploi : comme il a été mentionné, chaque exploitation fait vivre aujourd’hui directement 7 emplois et en induit indirectement 20. Demain l’objectif sera par nature de diminuer les effectifs en développant du personnel salarié. Sur l’emploi direct, il existe bien sûr un seuil minimal (1 personne pour 50 vaches) en dessous duquel il est difficile d’aller. Mais ceci n’est pas vrai pour l’emploi indirect (gestion, entretien du matériel…) qui lui peut être contracté. La qualification des personnels aura tendance à décroître.
  • Risque immunitaire : les grandes exploitations sont généralement considérées par beaucoup comme fragiles face à des risques d’épidémie (effet tâche d’huile). L’accroissement de la taille des fermes peut aussi induire une internalisation des processus de contrôle qui est elle-même à l’origine d’un développement du risque épidémiologique (cf. ce qui s’est passé en Angleterre avec la vache folle et la fièvre aphteuse).
  • Dépendance énergétique : la concentration de la production sur des zones géographiques entraine un type d’alimentation intensive ( Maïs – tourteau soja-colza). C’est un atout pour Sofiprotéol et sa filière diester puisque les producteurs payent le prix fort pour un tourteau de colza, sous produit de la filière diester, dont la cotation est basée sur celle du soja et non sur ses coûts de production. Au passage, rappelons que cette filière vient d’être épinglée dans un rapport de la cour des comptes (janvier 2012 la politique d’aides aux biocarburants). Ainsi, au terme de 15 ans de politique en faveur des biocarburants, la filière n’apporte pas la preuve de leurs intérêts (économique et écologique). Aujourd’hui, la FNSEA propose aux éleveurs un projet inter filière, difficile de voir ce projet comme un atout mais plutôt comme un débouché lucratif pour la filière diester. Ne s’agit il pas là de sauver Sofiprotéol ?
  • Pollution : le passage à une agriculture intensive concentrée est à l’origine des problèmes de pollution que connaît la Bretagne. L’établissement de normes et standards de qualité ne suffiront pas à combattre le problème de la concentration et du rejet des déchets. On peut penser qu’une prolifération des algues vertes et l’accélération de la pollution des nappes phréatiques sont très probables.
  • Urbanisation des terres : dans sa déclaration liminaire le gouvernement s’insurge contre l’urbanisation des terres arables qu’il souhaite combattre. La concentration de l’agriculture et l’abandon d’un certain nombre d’exploitations accentuent bien sûr ce risque. La production laitière occupe environ 20 % du territoire français (30 % de la surface agricole). Le regroupement en méga exploitations aura tendance à réduire cette emprise au sol et l’entretien des terres correspondantes.
  • Paysage : c’est un élément important de notre patrimoine qui risque de disparaître à l’image de ce qui s’est produit dans les années 60 avec le remembrement. Il est étonnant qu’en 2010 certains puissent continuer de prôner une forme de développement dont la plupart des observateurs et le grand public a pu mesurer les limites. Le fait est que l’Europe comme notre gouvernement feraient bien de mieux d’écouter leur opinion publique qui voit dans son agriculture (une fois n’est pas coutume) la matérialisation concrète d’un développement durable au quotidien.

Il est temps de réfléchir à une autre voie.

 

Les propositions de l’APLI :

L’Europe s’est construite avec l’agriculture et c’est avec et par l’Europe que les solutions doivent être apportées pour résoudre la crise que vit actuellement la production laitière. Pour ce faire, l’APLI en France et l’EMB en Europe élabore un projet visant à réguler la production européenne et à assurer un revenu décent aux producteurs, tout en garantissant un approvisionnement quantitatif et qualitatif des populations.

Un projet Européen qui se base sur une vérité et s’écarte de toute utopie.

Ce projet s’appuie sur deux piliers :

Un prix de base unique européen

Ce prix équitable doit couvrir les coûts de revient, la rémunération des investissements et la rémunération effective du travail. Chaque pays de l’Union Européenne, une fois par an, établira, à partir d’un panel d’exploitations tirées au sort (dont on aura retiré les 10 % extrêmes), un prix de revient moyen fonction des charges, de l’investissement et de la main d’œuvre de chacune d’entre elles.
Ce prix moyen de chaque pays, sera pondéré par le volume produit dans chaque état membre, ce qui donnera un prix de base unique européen pour une grille de qualité minimale européenne.

Une régulation des volumes

Le marché du lait est essentiellement européen, seul 7 % de la production se retrouvent sur le marché international (aux cours mondiaux). Il faut donc adapter l’offre à la demande, nous ne voulons pas de régulation du marché mais il faut instaurer une régulation de l’offre. Cette régulation doit être européenne, il est urgent d’harmoniser la production européenne et de supprimer la compétition destructrice entre les états membres et à l’intérieur de chaque pays, entre les différentes régions. Or l’adoption du « mini paquet lait » par le parlement européen manque cruellement d’ambition sur ce point.

C’est pour cela que nous appelons de nos vœux la création d’une Agence de régulation européenne, organisme visant à la régulation des volumes et des cours du lait et dans lequel doivent siéger tous les acteurs de la filière : producteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs ainsi que les pouvoirs publics.

Les producteurs restent propriétaires de leur droit à produire, fixé en fonction du quota historique et ajusté en fonction des besoins mais ne pouvant descendre en dessous d’un certain pourcentage. Chaque année les transformateurs annoncent leurs volumes nécessaires. Ces volumes sont constitués d’un volume commercial auquel s’ajoute un volume nécessaire de stocks publics afin d’assurer la sécurité alimentaire. Ces volumes ne sont pas figés, si des entreprises décrochent de nouveaux marchés, elles pourront demander des volumes supplémentaires.

Les importations seront surveillées, ne pourront entrer dans l’union européenne que des produits assurant les mêmes garanties de qualité sanitaires, environnementales, démocratiques et éthiques que celles des produits européens.

Conclusion

La solution à la crise que vit le monde agricole est éminemment politique, car, là où certains veulent plus de compétitivité pour la résoudre, d’autres demandent plus d’équité. Le marché doit être encadré et équitable, l’offre et la demande ajustées, le prix juste et rémunérateur.